timbre freinet

 

Un village coupé du Monde

Un village coupé du Monde

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

Lors de son inhumation dans son village natal de Gars (Alpes-Maritimes), en octobre 1966, rares étaient ses amis, même les plus proches et les plus anciens, qui y étaient déjà allés. Il faut préciser qu'on ne le traverse pas par hasard, en se rendant ailleurs. Encore aujourd'hui, après avoir quitté au Logis du Pin la Nationale 85, dite « route Napoléon », et suivi la modeste Départementale 2211 vers Puget-Théniers, après avoir traversé St-Auban, puis Briançonnet, on aperçoit à peine un panneau signalant sur la droite la direction de Gars. Ayant parcouru quelques kilomètres sur une voie étroite, on parvient au village par une rue en impasse se terminant sur la place où se trouvent tout à la fois la fontaine principale, l'église, l'école, depuis longtemps fermée, et la maison natale de Célestin Freinet. Pour quitter le village, pas d'autre choix que de reprendre le chemin inverse jusqu'à la départementale.

 

Dominé par un énorme rocher, Gars a gardé la même physionomie depuis plus d'un siècle. Comme beaucoup de villages du haut-pays, il semble coupé du monde. C'était bien réel quand n'existaient que des chemins caillouteux et aucune automobile. Freinet décrit l'expédition d'un des rares voyages à Grasse de villageois, circulant généralement en groupe : Les convois partaient en pleine nuit, les jeunes gens conduisant les ânes chargés de haricots secs, de lentilles ou de noix, les femmes suivant avec un panier au bras ou parfois même un paquet sur la tête. Il fallait marcher pendant quinze heures, traverser les montagnes, couper les vallées par d'étroits sentiers rocailleux, pour arriver à la nuit tombante à la ville. On remisait les bêtes dans les écuries qui tenaient tout l'emplacement des beaux magasins actuels de la place aux Aires. Au matin, on vendait la charge, et on faisait les commissions : quelques "hectos" de sucre, des épices, deux barriques de vin chargées sur la bête la plus forte et, à midi, le convoi repartait, refaisant en sens inverse le même chemin difficile. (L'Education du Travail, p. 67 ou T.1, p. 93).

 

Autant on peut, sur place, imaginer la vie en autarcie du village au début du siècle (à l'époque, il comptait un peu plus de 200 habitants), autant il est difficile d'obtenir des renseignements précis sur la famille de Célestin Freinet. Comme il arrive souvent dans les lieux isolés, clos sur eux-mêmes, ces villages de l'arrière-pays se sont souvent partagés en clans opposés et, tout le monde y étant plus ou moins parent avec tout le monde, il n'est pas rare que deux listes rivales aux municipales contiennent les mêmes noms de famille. Actuellement seules vivent encore à demeure quelques personnes âgées, avec en fin de semaine l'animation des résidents secondaires, descendant pour la plupart d'anciennes familles du cru. Le maire n'habite pas sur place. Apparemment, très peu d'archives locales. Longtemps, des questions sur Freinet n'ont obtenu que des réactions évasives: « Ah! oui, l'instituteur végétarien! » et plus rarement des réponses empreintes de réticence.