timbre freinet

 

BENAIGES Antoni, 2ème lettre de REDONDO (novembre 1936)

Pays

Texte traduit par Babeth Barrios, extrait du livre El mar serà ...de Sebastiàn Gertrùdix et Sergi Bernal, éditions Gregal.

ANTONI BENAIGES, la deuxième lettre de REDONDO

 

A peine lue la missive par laquelle Demetrio Sàez annonçait à la famille et aux amis d'Antoni Benaiges l'assassinat par les fascistes du jeune catalan, Patricio Redondo, alias Paco Itir, publia une épitaphe en forme de lettre dans le Buttleti del Comité de Defensa Local (Vilanova i la Geltrù) du 29 /11/ 1936.

 

Quelques jours plus tard, toujours pour le Buttleti, il écrit ce second texte.

 

Deuxième lettre, 29 novembre.

 

Le cœur. Hier ce fut le cœur. Des raisons du cœur que ne connait pas la raison : aujourd'hui ce sera celle-ci. Qui était Benaiges, don Antoni Benaiges Nogués, comme dit dans sa lettre fracassante Demetrio Sàez ?

Simplement un maitre d'école, Le maitre d'école. C'est ainsi. Ni plus ni moins, ni moins ni plus. Le maitre d'école de Bañuelos de Bureba, et s'il en existe que ne s'irritent pas les enseignants qui auparavant auront défilé dans ce petit village, quand ils liront, s'ils les lisent, ces lignes.

Benaiges était le maitre d'école, le premier maitre d'école de Bañuelos de Bureba. Il en avait le droit. Et Bañuelos de Bureba fut la première école de Benaiges. Et grâce à lui, par chance grâce à lui, elle accéda à la dignité d'école. Un jour nous raconterons comment il construisit son école, comment, de ce qui n'en était pas une, ne pouvait en être une, lui fit une école. Il était le maitre d'école !

 

Pour cela, précisément pour cela, les fascistes l’assassinèrent. Les fascistes n'ont jamais eu, n'ont jamais voulu des maitres. Ils ont toujours bien aimé des laquais. Et celui qui, rejetant cette servile condition, s'est élevé à la dignité de maitre, même s'il est simplement parvenu à l'effleurer du bout des doigts, ils l'ont assassiné .Et avant cela ils l'ont martyrisé, plantant dans son âme, lentement, doucement, les lèvres tordues d'un rictus, les poignards empoisonnés de leur rustrerie de chefaillons, la plus grossière qui soit au monde. On pourrait écrire aussi un jour l'histoire fantastiquement dantesque du fascisme espagnol, plus ancien que l'humanité, transcrivant dans des carnets tout le martyrologue des instituteurs espagnols, dès qu'ils décidaient de se débarrasser, en la raclant, de la servitude du laquais tétée dès le berceau, pour s'élever à la simple et très modeste dignité de maitre d'école

Non pas parce qu'il était socialiste, ou communiste, ou anarchiste, ou simplement syndicaliste, non : ils l'ont assassiné parce qu'il était maitre d’école.

Et il l'était de la tête aux pieds, de la racine de ses cheveux aux ongles de ses pieds ; depuis son épiderme jusqu'à la moelle de ses os. Il l'était quand il était endormi et quand il était éveillé ; quand il écrivait et quand il parlait ; quand il travaillait dans l'école et quand il cheminait dehors. C'était tout simplement un homme enrôlé définitivement, sérieusement, dans la mission de transformer l'école non pas en un moyen de vie mais plutôt en base pour la réalisation d'une œuvre vraiment géniale, qui serait une création.

« On nous a annoncé le concours pour les mutations. J'aurais pu participer, avec de bonnes chances d'obtenir un meilleur poste ; ce village n'a ni eau, ni électricité, ni chemins, pour aller à Briviesca à peine y a t-il le début d'un chemin, et pourtant je n'ai pas postulé, et je ne postulerai pas ; je reste ici. Je vois clairement que peu à peu je deviens une lueur dans l'esprit de ces garçonnets, de ces fillettes, et que je deviens aussi une lueur dans ce village, et je nourris l'espoir qu'un jour, grâce au travail d'un maitre d’école, cet endroit miroitera comme de l'argent, luira comme une braise, capable d'illuminer, que sais-je, la moitié du monde, le monde entier. »  (…) « Je ne bouge pas de Bañuelos de Bureba! »

Et dans la Bureba, dans ces étendues désertes de la Bureba, il est tombé, pour rien d'autre, notez bien, que l'unique fait d'être un instituteur, assassiné par la furie fasciste faite chair et os et mains de lourdauds à l'inconscience retorse, devenue ignorance et perversité. Ceux qui commirent l'acte ne savaient pas ce qu'ils faisaient, ceux qui donnèrent l'ordre ne le savaient que trop bien. Et nous avons perdu, disons-le mieux, non pas nous mais l'humanité entière, parfaitement, a perdu ce dont elle a tant besoin : un maitre d'école qui, peut être, qui, c'est certain, aurait pu en inspirer et en guider de nombreux autres. 

 

 

S'il n'y en avait pas d'autres, d'autres et d'autres encore, ce seul fait suffirait pour exiger du monde l'écrasement définitif, une fois pour toutes, du méprisable et rachitiquement misérable fascisme.

 

 

Benaiges naquit dans un village de la province de Tarragone ; il arriva à vingt ans en travaillant la terre, la caressant et la choyant, parce que certainement son bêchage et son labourage étaient du soin, de la caresse et de l’amour. Il n'y avait dans son esprit d'autre culture que celle rudimentairement rudimentaire dispensée dans une école de village de ce temps-là, mais cet esprit conservait la curiosité préoccupée de l'enfant, et il se gavait, se goinfrait -permettez que je le dise ainsi -de lecture et encore de lecture. Quand dans le champ il faisait une pause et se redressait, toujours il regardait au loin, et ses yeux voyaient au-delà de la ligne de l'horizon, jusqu'à ce qu'un jour, un beau jour qui maintenant s'est avéré mauvais, il trouve son chemin et se mette à étudier. Des mois, plutôt que des années, lui fallut-il pour obtenir le titre de maitre d'école, et en quelques mois également il acquit le droit d'occuper un poste d'instituteur dans une des écoles que l'État fasciste, travesti en État monarchique d'abord, républicain ensuite, entretenait comme un insalubre centre de la culture à laquelle , depuis des siècles et des siècles avait droit le peuple, sans qu'on lui donne , comme à un chien galeux, davantage qu'un crouton de pain dur et sec . A notre arrivée à Vilanova i la Geltrù il était en charge, comme intérimaire, de la classe BATEC de notre école. Il y commença ses essais d'écriture script et de techniques Freinet, Quand démarra l'année scolaire 1933-1934, lui commença son travail de maitre titulaire de l'école nationale mixte de Bañuelos de Bureba. L'ex administration monarchico-républicaine de toujours, fasciste par essence, présence et pouvoir toujours, qui n'a pas su manier ni utiliser les hommes, l'envoya dans ce coin reculé du monde.

 

Et dans ce recoin du monde, en s'y consacrant entièrement, totalement, non pas comme font les bons mais comme font les excellents, il réalisa son œuvre et la diffusa, agrandissant encore et encore, depuis l'insignifiant petit village, la sphère d'action de son travail.

Benaiges était une avancée de notre technique, il l'avait interprétée d'une manière personnelle et très originale, et il était sur le point de parvenir à une œuvre aboutie et réussie.

Maintenant non, parce que nous sommes en guerre et il faut terminer celle-ci et la gagner à tout prix, il faut voir si au bout du compte nous arrivons à en finir avec la guerre en général. Maintenant , non ; mais quand le mouvement s'arrêtera et que nous pourrons nous remettre au travail, nous avons une certitude : notre technique saura conserver et diffuser ton œuvre et l'idée que tu t'en faisais comme preuve évidente que, bien qu'ils t'aient assassiné, toi, Benaiges, tu n'es pas mort, et que nous, nous ne voulons pas que tu meures . Salut !

 

Paco Itir.

 

Traduction partielle, des pages 471 à 474, dans l'ouvrage El mar serà ...de Sebastiàn Gertrùdix et Sergi Bernal, éditions Gregal.

 

 

Les espoirs de Paco Itir ont été trahis. Défaite du camp républicain, pour ses membres représailles, la mort parfois, pour tout le monde, peur, obscurité et silence forcé pendant la longue dictature de Franco. Et pourtant ...Dans le Nouveau Monde où, comme d'autres, il s'est exilé, Patricio Redondo s'est remis au travail. Les élèves de l'école San Andrés Tuxla, dans l'état de Veracruz, au Mexique, impriment sur la quatrième de couverture de leur journal le nom d’Antoni Benaiges Nogués et le gardent vivant.

Le temps fait son œuvre. Dans le Vieux Monde, dans une Espagne qui a bien changé, une génération nouvelle retrouve les cailloux du Petit Poucet, ces 13 cahiers imprimés il y a si longtemps. Elle part sur les traces du jeune maitre d'école catalan mort à 33 ans qui, grâce aux techniques Freinet, grâce à l'imprimerie, avait apporté « à ces terres embrasées de soleil, brulées par le gel et asservies par l'ignorance » une ouverture sur le vaste monde. Le silence fait autour de son nom et de son œuvre vole en éclats.

Benaiges, le maitre qui avait promis la mer …

 

 

 

Traduction de la lettre et d’extraits du livre El mar serà .de Sebastiàn Gertrùdix et Sergi Bernal, éditions Gregal, par Babeth Barrios. MCEP. ICEM.

Personnalité