timbre freinet

 

Pétain: "l'instituteur, voilà l'ennemi".

Publication

Le 5 avril 1934, il s’adresse au ministre de l’Éducation Nationale, Berthod craignant une contamination du corps des officiers de réserve dans lequel les instituteurs sont particulièrement nombreux : « Il est de toute nécessité pour le pays, tant du point de vue de sa défense que de son redressement moral, que le corps enseignant s’emploie à former une jeunesse résolue, virile et bien préparée à l’accomplissement de son devoir militaire. »

Entretien dans Le journal 30 avril 1936 :

« Nous avons fait entrer le communisme dans le cercle des doctrines acceptables. Nous aurons vraisemblablement l’occasion de le regretter… Tout ce qui est international est néfaste. Tout ce qui est national est utile et fécond… On ne peut rien faire d’une nation qui manque d’âme. C’est à nos instituteurs, à nos professeurs de la forger… La crise n’est pas chez nous une crise matérielle. Nous avons perdu la foi dans nos destinées, voilà tout… C’est contre cela qu’il faut lutter. C’est cela qu’il faut retrouver, une mystique. Appelez-la comme vous voudrez : mystique de la patrie ou plus simplement du souvenir, hors de cela point de salut ».

Article de Pétain dans la Revue des Deux Mondes (15/08/1940)

"FRANÇAIS, Parmi les tâches qui s’imposent au Gouvernement, il n’en est pas de plus importante que la réforme de l’éducation nationale. Il y avait à la base de notre système éducatif une illusion profonde : c’était de croire qu’il suffit d’instruire les esprits pour former les cœurs et pour tremper les caractères.[…] Une autre grave erreur de notre enseignement public, c’est qu’il était une école d’individualisme. […] L’école française de demain enseignera avec le respect de la personne humaine, la famille, la société, la patrie. Elle ne prétendra plus à la neutralité.[…] L’école française sera nationale avant tout, parce que les Français n’ont pas de plus haut intérêt commun que celui de la France […]. L’école primaire continuera comme par le passé […] à enseigner le français, les éléments des mathématiques, de l’histoire, de la géographie, mais selon des programmes simplifiés, dépouillés du caractère encyclopédique et théorique qui les détournait de leur objet véritable. Par contre, une place beaucoup plus large y sera faite aux travaux manuels dont la valeur éducative est trop souvent méconnue. Il faudra que les maîtres de notre enseignement primaire se pénètrent de cette idée – et sachent en pénétrer leurs élèves – qu’il n’est pas moins noble et pas moins profitable, même pour l’esprit, de manier l’outil que de tenir la plume, et de connaître à fond un métier, que d’avoir sur toutes choses des clartés superficielles. […] Nous ne devons jamais perdre de vue que le but de l’éducation est de faire de tous les Français des hommes ayant le goût du travail et l’amour de l’effort.[…] Restituer dans toute leur plénitude ces vertus d’homme, c’est l’immense problème qui se pose à nous. La formation d’une jeunesse sportive répond à une partie de ce problème. Les projets actuels du ministre de la Jeunesse visent à rendre à la race française santé, courage, discipline. […] L’école primaire ainsi conçue […] substituera à l’idéal encyclopédique de l’homme abstrait, conçu par des citadins et pour des citadins, l’idéal beaucoup plus large, beaucoup plus humain de l’homme appuyé sur un sol et sur un métier déterminé. Elle donnera aux paysans un sentiment nouveau de leur dignité. […] Mes chers amis, on vous a parlé souvent depuis quelques années de l’École unique. L’École unique, c’était un mensonge parmi beaucoup d’autres, c’était, sous couleur d’unité, une école de division, de lutte sociale, de destruction nationale."

Voici ce qu’en écrit Marc Ferro mêlant ses souvenirs de jeunesse et ses recherches d’historien1 :

"Pétain prêtait une grande attention à l’enseignement et à ses principes. En 1934, il avait souhaité devenir ministre de l’Éducation nationale (Weygand, d’ailleurs s’en moquait). Pour lui, l’école doit former des citoyens et il regrette que l’armée ou l’Église ne s’en charge pas car “les instituteurs, voilà l’ennemi”. La-dessus ses principes sont clairs et nets. L’enseignement ne doit pas être une école d’individualisme, il ne doit pas prétendre à la neutralité, il ne forme pas assez les cœurs, et ne trempe pas assez les caractères. Il n’est pas moins noble de manier l’outil que la plume. Il est plus aisé de faire son devoir que de le connaître. Voilà ce qu’il faut répéter, ce qu’il faut enseigner.

Sa haine des instituteurs s’était déjà manifestée au moment des mutineries de 1917, lorsqu’il les avait rendus responsables des troubles après la bataille du Chemin des Dames. On ne savait pas, comme l’historien Guy Pedroncini l’a bien démontré depuis, que cette accusation n’avait pas de fondement.

En 1938, le Syndicat national des Instituteurs (SNI) avait appelé à la grève « pour protester contre l’abrogation des 40 heures, alors que l’Allemagne les faisait passer à 60. Avec ce mot d’ordre “Plutôt la servitude que la mort” . Cette année-là, 1 328 instituteurs avaient été licenciés par Daladier. Vichy avant Vichy.

À Vichy, pour bien manifester la rupture, Pétain nomme le grand joueur de tennis Jean Borotra, commissaire général à l’éducation et aux sports, tout un symbole.

Comme on l’imagine, les intellectuels de l’époque, pétainistes ou non, entrent en scène et se prononcent sur cette conception de l’école. Les uns comme le ministre Jacques Chevalier intègrent l’enseignement religieux aux horaires de classe. D’autres comme Jérome Carcopino, réagissent à cette mesure en faisant valoir que “l’instituteur est à son école, le curé est à son église”. Pétain cède finalement à Carcopino, son collègue à l’Académie française, et retire l’enseignement catholique de l’emploi du temps des élèves.

Quelques historiens parlent de Pétain et l’école2

Deux mois après la signature de l’armistice, un mois après les actes constitutionnels qui légitiment son autorité, Pétain annonce… une réforme de l’école. Pourquoi une telle priorité ? D’abord parce que pour lui et le cercle des idéologues qui entourent le chef de l’État, l’école, c’est la république, et la république, c’est la « gueuse ». Ensuite parce qu’il faut proposer un bouc émissaire à des Français « sonnés » par l’ampleur de la débâcle et de la pagaille consécutive. Enfin parce que dans les milieux universitaires, dans les cercles intellectuels, dans l’Église de France, dans les milieux syndicaux, dans l’armée, des responsables, gagnés aux idées de l’Action française, sont sincèrement convaincus que « nous avons été battus parce que nous sommes coupables » (Michèle Cointet).

Déjà en 1934, Pétain, alors aspirant au poste de ministre de l’Éducation nationale, l’avait affirmé : « Avant de se jouer sur un champ de bataille, les destinées d’un peuple s’élaborent sur les bancs de la classe et de l’amphithéâtre ». La défaite légitime le combat mené dans l’entre-deux-guerres pour en finir avec la loi de séparation et les erreurs de l’enseignement républicain. C’est donc bien sur le terrain de l’idéologie que se situent Pétain et les hommes de Vichy. Parce qu’ils croient les instituteurs gangrenés par le communisme, le pacifisme et l’internationalisme, parce que, selon eux, l’école de la République a failli dans sa mission, il faut tout changer. Au triptyque républicain Liberté, Égalité, Fraternité est substitué un autre idéal : Instinct, Sélection, Tradition. (Jean-Michel Barreau).

1 [http://ppnm.blog.lemonde.fr/2012/04/08/1940-9-aout-linstituteur-voila-lennemi/] puis Ferro p.123-124

2 [https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-4549-12044.pdf]