J'ai rédigé un texte à l'occasion des célébrations de Vence qui se déroulent actuellement.
90 ans de l'Ecole Freinet du Pioulier à Vence
Centenaire de l'imprimerie à l'école
par Hervé Moullé, le 18 octobre 2024
Bonjour chers amis et chères amies,
J'étais parmi vous, il y a une dizaine d'années, pour célébrer L'Ecole Freinet du Pioulier et représenter l'association Amis de Freinet. Je garde un formidable souvenir de ces Journées de Vence.
Aujourd'hui, il m'était impossible de me déplacer pour me joindre à vous mais notre association est représentée et j'ai pris la liberté de vous adresser ce texte.
A n'en pas douter, cette nouvelle célébration des 90 ans de l'Ecole Freinet sera aussi touchante et productive, d'autant plus qu'elle est liée à un centenaire, celui de « l'idée lumineuse » qu'eut Célestin Freinet en introduisant une petite imprimerie dans sa classe. Ce geste, qui aurait pu rester anodin, amena une révolution pédagogique. Son importance fut et est toujours celle du battement d'aile de papillon qui peut provoquer un changement météorologique. On pourrait aussi évoquer la goutte d'eau du colibri qui répondit au tatou agacé : « je fais ma part ».
Beaucoup a été dit et écrit sur la formidable intelligence créative et pragmatique de Freinet, d'Elise, des pionniers et de tous les travailleurs et travailleuses du Mouvement Freinet international. Une intelligence collective. Vos échanges le montreront encore une fois. Je voudrais participer à ces célébrations, en disant quelques mots de remerciements pour trois personnes qui ont pris leur part dans la création et le développement de ce mouvement international unique en son genre. Je veux évoquer Martin Ferrary, Salvador Diaz et Bernard Blier. L'invention de l'un, le texte du deuxième et le jeu du troisième furent des leviers que Freinet eut l'opportunité et l'intelligence de saisir pour en tirer le meilleur. Je pouvais en choisir d'autres, tant sont nombreux ceux et celles qui firent et font le Mouvement Freinet. Nous avons tous et toutes notre part à cette œuvre, à cette aventure humaine.
La première personne est Martin Ferrary. Il nait le 12 septembre 1897 à Boulogne-sur-Seine aujourd'hui Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine. En 1923, il a 25 ans. Il invente une petite presse à imprimer à destination des commerçants et des mairies. Il la présente au Concours Lépine de 1923 sous l'appellation de CINUP. Il est lauréat avec une médaille d’argent, sous le nom de E. Ferrary. Le E utilisé alors devant son nom est celui d'Emile, son deuxième prénom. Son adresse à l’époque est au 34 rue de la Saussière à Boulogne-sur-Seine. Il crée une entreprise pour commercialiser son invention et les accessoires nécessaires.
Pour lancer son activité artisanale et commerciale, il rédige et paie des petites annonces dans beaucoup de journaux. La presse locale et nationale était très développée et très lue.
Freinet est en éveil, il s'intéresse à tout, cherche les nouveautés, lit les journaux. Il découvre une petite annonce de E. Ferrary et entre en possession de cette petite presse à imprimer et de ses accessoires.
En 1924, la rentrée scolaire se déroule le 6 octobre. La suite nous a été racontée par Elise, par Madeleine, par de nombreux autres dont Jean-Paul Le Chanois.
Au recensement de 1926, Martin Ferrary habite toujours la même adresse avec son épouse Marie-Louise et son fils Louis. Il est présenté comme fabriquant de presse.
En 1927, il se fait éditeur pour diffuser le livre de Freinet, « L'Imprimerie à l'Ecole ». Ce texte, un compte rendu d'expérience, aura un retentissement médiatique très large et sera à l'origine de nombreux ralliements. On connaît la suite.
La deuxième personne est le jeune Salvador Diaz. Il fut, à la fin de sa vie, le plus ancien et le plus âgé des « imprimeurs ». Je vais développer l'itinéraire de ce « héros » du Mouvement Freinet.
Salvador Diaz nait le 23 juin 1920 à Marseillan, rue Louis Blanc, à quelques kilomètres de Sète, dans l'Hérault, entre la mer et l'étang de Thau. Sa famille est arrivée en France en 1916, après avoir quitté l'Espagne et séjourné un temps en Algérie, pour chercher du travail dans le vignoble et les salines. Salvador a fréquenté l'école, a grandi et est devenu « Marcel ».
Au début des années 1930, il a une dizaine d’années, son père l’envoie à Vence, dans les Alpes-Maritimes, avec ses frères, Antoine et Joseph, pour ouvrir un commerce de fruits et légumes. Ainsi, le hasard le conduit dans la classe de Célestin Freinet à Saint-Paul. Antoine étant naturiste, il rencontre le couple Freinet ainsi que Lisette Vincent.
En 1932, Marcel écrit un texte intitulé « Mon rêve », publié dans le journal scolaire de Saint-Paul, « Les remparts », le 14 mars puis un deuxième, daté des 11 et 13 mai. Le premier texte est devenu objet d’Histoire, car il fut utilisé et manipulé par Joseph Demargne, le maire médecin maurassien de Saint-Paul, pour organiser une offensive politique qui mena à l'Affaire de Saint-Paul ou Affaire Freinet, en 1933.
Marcel est le petit Ninio du film de Daniel Losset « Le maître qui laissait les enfants rêver ». Nous l'avions invité avec son amie Odette au Congrès Freinet de Paris en 2007 ainsi que le réalisateur Daniel Losset pour une présentation du film. Depuis, nous étions restés en lien et je lui rendais visite régulièrement. Marcel était membre d'honneur de l'association Amis de Freinet. Odette habite Balaruc-les-Bains.
Il était, à la fin de sa vie, le plus ancien et le plus âgé des « imprimeurs » car il fut « imprimeur » au début des années 1930 dans la classe de Célestin Freinet à Saint-Paul et est décédé le 14 novembre 2020. Il était entré le 23 juin 2020 dans sa 101e année. Le jour de ses 100 ans, il me disait encore qu'il était désolé d'avoir créé tous ces tracas à Freinet. Je le consolais en affirmant que la médiatisation de l'Affaire avait rendu populaire Freinet et le Mouvement et avait aidé son développement.
En 1936, il a 16 ans et part faire la guerre à Franco dans le pays de ses parents. Il sera fait prisonnier à Alicante et passera des mois dans l'enfer du camp d'Albatera. Il a décrit son itinéraire dans un livre, « De Freinet à la lutte antifasciste (Espagne 1936-1939) » et dans un texte disponible dans le dossier web que je lui consacre, « L'itinéraire d'un adolescent de Marseillan (Hérault) avant et pendant la guerre d'Espagne ».
En un siècle, Marcel a vécu plusieurs vies, a pratiqué plusieurs activités professionnelles, a partagé son existence avec plusieurs femmes, a eu des filles et un fils, puis il est revenu à Marseillan et à Sète. Marcel était très attachant, drôle et expansif, poète et chanteur, danseur, gourmand de moules et d'huitres. Sa paella était un délice. Sa personnalité ne laissait pas indifférents ceux qui le côtoyaient.
La troisième personne est Bernard Blier. Ce grand acteur français incarna magistralement Freinet dans le film réalisé par Jean-Paul Le Chanois en 1949. Ce chef d'œuvre de l'Après-Guerre eut un retentissement extraordinaire et est encore aujourd'hui un emblème et un formidable moyen de prise de conscience, de motivation pour se lancer dans cette étonnante aventure humaine qu'est pour un adulte de participer au travail, au développement, à l'épanouissement des enfants. Continuons à le faire connaître auprès des jeunes qui arrivent dans les métiers de l'éducation, comme nous devons continuer à rendre accessibles des archives, des enregistrements audio et vidéo, des ouvrages.
C'est l'objet de l'association Amis de Freinet qui a pour but de perpétuer, en liaison avec l’ICEM, la FIMEM et toutes les associations du Mouvement Freinet français et international, par les moyens les plus efficaces, le souvenir du grand pédagogue Célestin Freinet, son œuvre pédagogique, philosophique, sociale et politique et de faciliter aux chercheurs l'accès à tous les documents témoignant de cette œuvre et du Mouvement qu’il a fondé.
Avec ses trois évocations de 1924, 1933 et 1949, je vous salue et je salue tous les travailleurs et travailleuses passés, actuels et à venir du Mouvement Freinet international.
Longue vie à l'Ecole Freinet !
Longue vie au Mouvement Freinet !
Hervé Moullé, instituteur retraité, militant et Président de l'association Amis de Freinet
A Laval, le 18 octobre 2024.