timbre freinet

 

AVENAS Jean (1921-1999), praticien Freinet de la Drôme

Département

Lieu(x) d'exercice

Vinsobres

Personnalité

Notice

  • "Porte de Provence" , journal des élèves de CM et FE de Vinsobres (6  ex au Munaé et 8 exdont 3 n° de déc 1963 aux AdF)
  • Auteur de " les journées agricoles de Vinsobres", 1976
  •  Son épouse Germaine Avenas  est aussi sur ce site à ce lien-ci :https://asso-amis-de-freinet.org/content/germaine-avenas-miltante-freinet-de-la-dr%C3%B4me
  •  Sur le site néoprofs à la question " A quoi sert un conseiller pédagogique", une anonyme rend hommage à Jean Avenas

https://www.neoprofs.org/t41617p4-primaire-a-quoi-servent-les-conseillers-pedagogiques

 

J'en ai une, super jolie aussi, qui date du 2 février 1976.

J'avais exactement dix-huit ans neuf mois et vingt-deux jours et j'étais "remplaçante", recrutée comme Rikki sur Liste Complémentaire, depuis le 3 novembre 1975.

On m'avait la veille au soir indiqué que je devais me rendre dans le village de V..., à une quarantaine de kilomètres de chez moi, pour y remplacer Mme F..., et c'est tout.
Le matin, mon copain du moment m'avait donc déposée à l'arrêt du car avant d'aller prendre son service et j'avais débarqué à V... largement avant l'heure du début des classes (sans doute vers 7 heures et quart).
Super, me direz-vous, tu as donc pu tout préparer avant que les élèves arrivent ?

Ah mais non... L'école, à classe unique, était fermée à clé, la mairie et la poste n'étaient pas encore ouvertes, j'ai donc erré dans les rues du village jusqu'à une heure décente.
Lorsqu'il s'était mis à faire jour, j'avais bien essayé de me hisser jusqu'à l'appui des fenêtres du bâtiment Jules Ferry pour jeter un coup d'œil à l'intérieur de la salle de classe, mais à part supputer grâce au nombre de bureaux que l'effectif n'était pas très chargé, je n'avais pas appris grand-chose : pas d'affichages aux murs, pas de tableaux préparés, le plateau du bureau de la maîtresse totalement vide...

À 8 heures 20, la postière était arrivée avec la clé, en même temps que les premiers élèves. Nous étions rentrés en classe, ils étaient quatorze, élèves de CM1 et CM2 (peut-être y avait-il aussi des CE2, c'est loin, je ne me souviens plus). Ça tombait super bien, depuis novembre, j'avais essentiellement fait des CP et des maternelles ! Ainsi, la panoplie de la vraie remplaçante serait complète !

Ils n'avaient pas leurs cahiers du jour, je n'avais pas de lettre de la maîtresse, l'emploi du temps n'était pas affiché. Mais ils étaient formels : le matin, on commence par corriger les devoirs du soir !
J'en avais appris une de plus sur notre beau métier, les devoirs du soir étaient interdits depuis belle lurette, mais il restait quelques dinosaures qui en donnaient !

Et ils en donnaient, les dinosaures, des devoirs ! Ils en donnaient tant qu'à 9 heures et demie, quand, à l'impromptu, comme toujours à l'époque, le Conseiller Pédagogique est arrivé, nous y étions toujours à cette fameuse correction.
Il l'a interrompue d'un "Qui les a donnés, ces devoirs, Mademoiselle ? Ce n'est pas vous, n'est-ce pas ? Eh bien, que celle qui les a donnés les corrige elle-même ! Vous n'êtes pas payée pour corriger le travail des autres !"

Et là, il m'a donné la meilleure leçon-modèle que j'aie jamais vue. Après avoir demandé la date aux enfants, il leur a fait lire sur le calendrier ce à quoi elle correspondait (la Chandeleur), leur a demandé ce que cela évoquait pour eux.

Nous sommes alors partis sur les coutumes liées à la Chandeleur, les crêpes avec la pièce d'or dans la main pour être riche toute l'année, l'ours qui, s'il voit son ombre, retourne se coucher pour quarante jours...
Cela nous a fait dévier sur les animaux qui hibernent, ceux qui migrent et ceux qui continuent leur petite vie de bestiole, tranquilles, au milieu des frimas.

Petit à petit, le tableau se remplissait d'un texte "libre" réellement composé par les élèves, mais en même temps amené de main de maître par le conseiller péda qui, par petites touches insensibles, leur faisait agencer leurs idées, leurs phrases, leur orthographe... Celui-ci, tout en sollicitant les élèves, m'expliquait à mi-voix les objectifs de la séance de français qui mêlait l'expression orale, le vocabulaire, l'orthographe, la grammaire et la conjugaison.
Il m'encourageait à en faire de même, m'aidait à formuler mes questions, m'aiguillait sur les pistes les mieux balisées, me rappelant le programme de CM1 ou celui de CM2, selon l'élève auquel je m'adressais.

Nous avons profité de la récréation pour bavarder à bâtons rompus du métier. Avant de partir, il m'a suggéré une leçon de maths sur la proportionnalité en me basant sur la recette des crêpes et a lancé le thème des "activités d'éveil" de l'après-midi (pleine époque du tiers-temps pédagogique) : comment les animaux passent-ils l'hiver ?
Les élèves étaient ravis, moi aussi. Le remplacement se clôturait le lendemain soir et j'avais les premières bases du remplacement en CM.

Quelques semaines plus tard, ce CPC revenait me voir ailleurs, en CE, en CP ou en CM et, comme à chacune de ses visites, j'apprenais encore mille petites choses pratiques qui me servent encore aujourd'hui.

Puisqu'il est décédé maintenant, je peux révéler son identité.
Il s'appelait Jean Avenas, il avait longtemps été instituteur Freinet à Vinsobres dans la Drôme, avant d'accepter la lourde charge de contribuer à former ses collègues débutants.

Je pense que le mot "collègues" qui m'est venu spontanément est très important : c'est lorsque nos CPC ne se sont plus pris pour des collègues, juste un peu plus expérimentés parfois, qu'ils se sont mis à correspondre à la définition de Mowgli.