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Vers la transformation des pratiques

 

Vers la transformation des pratiques

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

Avant même d'avoir entamé le processus de transformation de sa classe, Freinet sait clairement où il veut aller. On glisse souvent trop rapidement sur cette période essentielle d'imprégnation et de maturation. Peut-être afin de prouver qu'en bon matérialiste, il tire toute théorie de sa pratique, selon le processus de tâtonnement expérimental qu'il décrira par la suite.

Il faut pourtant se rappeler que son expérience de l'éducation n'a pas débuté dans sa petite classe de Bar-sur-Loup, mais dans son village de Gars où il a vécu tant de découvertes passionnantes, dans ses écoles successives où il a subi le dogmatisme et l'ennui, dans les tranchées et les hôpitaux où il a mesuré l'imposture du nationalisme belliciste et l'immense gâchis qui en résulte. Par la confrontation des idées, il vient de clarifier ses choix fondamentaux : une éducation du travail et de la liberté au sein d'un groupe coopératif, une école conçue pour tous les enfants du peuple, dans la perspective d'une société internationaliste, libérée de l'exploitation.

Freinet ne s'embarque pas, tel Christophe Colomb, pour atteindre par une autre voie un continent connu. Il a défini les caps qui le conduiront vers un monde nouveau. Sur le choix des moyens, aucun sectarisme idéologique ne lui fera refuser ce qui est utilisable, sous prétexte que cela proviendrait d'une origine qu'il n'apprécie pas. Il ne lui faudra pas des décennies pour découvrir, comme les successeurs de Mao, que "les bons chats sont ceux qui attrapent les souris", l'important pour lui est de s'assurer auparavant qu'ils ne commenceront pas par dévorer tous les oiseaux.

Avant la rentrée charnière d'octobre 1924, qu'a-t-il déjà modifié dans sa classe? Seul son journal de bord pourrait peut-être nous informer. Ses observations d'enfants indiquent le climat général. Freinet raconte dans une interview enregistrée (livre-cassette Freinet par lui-même, PEMF, 06 Mouans-Sartoux), qu'il a commencé à changer sa pédagogie en pratiquant les "promenades scolaires", c'est-à-dire en allant étudier sur place la nature et les travaux des adultes. Un de ses anciens élèves, Lucien Pellegrini, confirmait en 1971 : Les "leçons de choses" en plein air étaient toujours l'occasion de découvertes passionnantes et chaque élève, en apportant ses brins de connaissances, contribuait à bâtir une leçon bien équilibrée et très vivante. Les insectes et les petits animaux n'étaient pas absents de ces discussions. Nous en apportions souvent en classe et le maître savait attirer notre attention sur le rôle qu'ils jouaient dans la nature.

Un hiatus se produisait au retour dans la classe, ajoute Freinet. Après les sorties, on écrivait un petit compte rendu collectif, mais on devait revenir bien vite aux exercices traditionnels des manuels, sans aucun rapport avec ce vécu. Il aurait fallu d'une part donner à chaque enfant un exemplaire lisible de ces textes, mémoire vivante de la classe (la polycopie donnait des résultats trop pâles), d'autre part proposer des documents et des exercices liés au sujet qui venait de susciter l'enthousiasme. Ce sera l'objet des recherches suivantes.