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L'École Moderne - d'où viendrait cette appellation ?

Publication

Freinet et le Parti Communiste

L'École moderne

Elle a un avant.

La question nous est souvent posée et les réponses depuis longtemps génèrent une polémique. Pourquoi soudain, au sortir de la dernière guerre, Freinet désigne-t-il le mouvement auquel nous attachons son nom, comme devant s'appeler « Institut Coopératif de l'École Moderne ».

Depuis le début de la formation du réseau de pédagogues, le nom de Freinet n'apparaît que dans la signature des articles présentant la pédagogie qu'il est en train de concevoir au sein d'un groupe sans cesse grandissant. Puisqu'il faut lui donner un nom, ce sera celui des Imprimeurs (plus tard Groupe de l'Imprimerie à l'École) réunis en coopérative : Cinémathèque Coopérative de l'Enseignement Laïc, Coopérative d'Entr'aide L'Imprimerie à l'École, Coopérative de l'Enseignement Laïc. Ce n'est qu'en 1945 que les Imprimeurs seront réunis dans l'ICEM, mis en débat dès 1946 (sans doute 1945), voté en 1947 et déclaré en préfecture en 1951, ce qui pourrait être la marque d'une certaine hésitation.

L'Éducateur prolétarien n°20 du 15 juillet 1939 est titré : « Premières réalisations d'éducation moderne, à l'usage des débutants, des hésitants et des sceptiques ». Il s'adresse aux « Éducateurs » leur déclarant d'emblée que « les réalisations décisives de la Coopérative de enseignement Laïc et du Groupe de l'Imprimerie à l'École ne sauraient aujourd'hui laisser aucun éducateur indifférent.

« Mais de ce premier intérêt à l’action véritable de rénovation de la classe, il y a une marge que nous mesurons et dont nous ne sous-estimons point l'importance. » Suit un véritable programme « Pour la rénovation Publique de l'École » sous titré « Pas de méthode définie et fixe... ». Principe précisé au troisième paragraphe qui suit : « … nous n'avons jamais prétendu recommander une méthode intangible de l'Imprimerie à l'École comparable aux méthodes en renom qui exigent un diplôme, une fidélité excessive à des normes de travail, une sorte de rite parfois. » En d'autres termes, ne nous confondez pas avec la Méthode Montessori.

Le lecteur attentif aura noté au bas de la page 449 d’introduction : « Le présent fascicule constitue le numéro 14 de notre collection des BROCHURES D'ÉCOLE NOUVELLE... ». Se démarquer sans quitter.

Le 8 novembre 1944, le ministre de l'Éducation René Capitant crée la Commission ministérielle d'études pour la réforme de l'enseignement. Fernande Seclet-Riou en fait partie, mais pas Freinet.

De là à parler de rancœur de la part de Célestin qui, pourquoi pas se serait vu entrant au ministère. Difficilement crédible dans la mesure où il n'a cessé de dire qu'imposer sa pédagogie, de fait promue méthode, serait un non sens à répercussions catastrophiques. Rancœur en voyant "Lange" – qu'il appelait ainsi pour braver la censure lorsqu'il volait à son secours depuis sa prison en 1940 (par l'intermédiaire d'Émilie Flayol, autorisée à lui rendre visite durant son assignation à résidence). Un ingrat, à snober quand on le voit accepter de prendre la direction de la commission Capitant ? Il avait rejoint le PC en 1944 ! Comment faire pression sans rentrer ?

Des évènements troublants.

Sans que l'on sache véritablement d'où est venue la rumeur, en 1943, propagée par le groupe algérien des imprimeurs. Freinet collabo ! La rumeur persiste aujourd'hui, revitalisée. Aux dires de Louzon et du Héron1 qui l'ont fréquenté dans les camps de Chabanet et Saint-Sulpice rassemblant les condamnés réputés anarchistes et communistes, Freinet était extrêmement prudent dans ses rapports avec ses codétenus. Fuites à partir de la censure quand Freinet, à mots couverts dans ses lettres à Élise, désigne les staliniens qui attendent des ordres pour penser par des termes religieux : « les croyants ». Il est peu probable qu'il ait avoué au « voisin » et à sa cour, les courriers qu'il avait envoyé aux ministres de Vichy et à Pétain lui-même. À n'en point douter les accusations viennent des communistes restés staliniens. Une fuite partie de Chabanet n'est pas improbable, au moment ou une révolte a été sanctionnée par des changements de prison quand Freinet était à l'hôpital.

Le second incident date de 1944 lorsque, selon Élise, débarquent les « cravatés », issus de l'ORA probablement, envoyés par De Gaulle certainement, qui viennent prendre en charge la Résistance en Vallouise et tentent de retirer à Freinet ses responsabilités dans le CNR. « C'est eux ou moi » fera comprendre Élise à son mari, ouvrant enfin les yeux. Il choisit la stratégie et sans doute aussi son honneur.

Quel mouvement reconstruire ?

En 1945 un nombre non négligeable de groupes d'Imprimeurs ne font pas la différence entre l'École nouvelle et les Techniques Freinet. Déchirer sa carte du PC aurait des conséquences fâcheuses et constituerait sans doute de quoi transformer les rumeurs en accusation directe. On constate la même hésitation dans les déclarations officielles du bureau national du PC qui verrait bien le GFEN absorber la CEL avec sa précieuse imprimerie soutenue par le nouveau gouvernement qui signe, tardivement, l'autorisation de livraison de papier.

La commission dirigée par Langevin est majoritairement communiste. Y rentrer aurait sans doute permis à Freinet de porter la discussion au sommet, faute de faire passer son projet de réforme. Il ne pouvait en aucun cas être signé par des universitaires de toute façon.

Il choisit, de retour à Vence, de relancer à la fois la CEL et les réseaux dispersés par la guerre. Il pouvait qualifier le mouvement comme il l'avait tenté en 1939 : « Éducateurs modernes », par opposition à « École Nouvelle ». Les « Imprimeurs » communistes y auraient pu trouver leur compte. Cela n'aurait fait que reporter le problème qui de toute façon ne pouvait que conduire à la rupture, non pas à cause du ressentiment, mais parce que la pédagogie Freinet est incompatible avec le programme du PC, qui déjà bien avant la guerre, avait commencé à le dénoncer comme soutien de la bourgeoise.

L'École Moderne.

L'École Moderne Française paraît en avril 1945. On peut supposer que le premier brouillon du livre n'a pas été écrit la veille. La conclusion est reprise d'un écrit daté de 1943. Freinet n'est pas inculte. Il me paraît inconcevable d'imaginer qu'il aurait ignoré l'existence et le martyre de Francisco Ferrer lui qui était allé visiter les écoles anarchistes de Hambourg dès 1922, citait Paul Robin et Sébastien Faure. Celles et ceux qui ne veulent pas voir le clin d’œil à Ferrer omettent toujours le titre exact : il est bien précisé « Française », sous entendu, différente de l'Espagnole, de la Escuela Moderna donc. La provocations est assez claire pour qu'il ne lui soit pas utile de l'expliciter. Les libertaires du mouvement au moins ont de quoi être rassurés : Freinet a enfin compris ce que représente le PC !

Second clin d'œil : dans l'Avertissement du livre, il marque la distance qu'il prend par rapport à ce qui se trame dans les hautes sphères pensantes parisiennes : « Comme l'indique son sous-titre, le présent ouvrage est essentiellement pratique. » Il ajoute pour qui n'aurait pas compris : « Le touriste qui part en excursion n'a que faire des considérations esthétiques, sociales ou humanitaires de ceux qui ne se sont jamais lancés qu'en imagination à la conquête des cimes. » Et suit un coup de griffes aux philosophes, dans les pages suivantes, qu'il oppose aux classes populaires. » Tout permet de supposer que dès ce premier parping posé en avril 1945, la préparation de l'édifice ICEM est déjà en discussion, au moins dans un groupe restreint de fidèles.

Tout faire pour sauver le mouvement sachant les imbrications locales avec le GFEN. Concernant les Journée pédagogiques, Freinet écrit : « Nous recommandons à nos filiales de s'entendre avec le Groupe d'Éducation Nouvelle, avec le Secrétariat Pédagogique du Syndicat de l'Académie pour l'organisation de ces journées recommandées officiellement pour l'étude de la réforme de l'enseignement. (L'Éducateur N°2, 15 octobre 1945.

Le même dénoncera le mois suivant le « gauchisme » pédagogique d'une certain École Nouvelle : « On a fait erreur en plaçant, au centre du projet de rénovation l'idée d'un principe : la pédagogie active, par exemple. Cela a été un drapeau. Comme le tracteur qu'on promène à travers champ, symbole des réalisations nouvelles. Ce drapeau a été brandi par un homme, A. Ferrière, qui a su le faire claquer au-dessus des conformismes assoupis. Il a animé, suscité, orienté les problèmes et les recherches. Mais nous devons aujourd'hui aller plus loin. » On reconnaît là plutôt le style d'Élise correctrice.

Freinet ne déchirera jamais sa carte du PC. Il cessera de payer sa cotisation. La date fait débat. 1948 affirme Henri Portier. Mais le couple bénéficiant de soutiens dans la cellule de Vence, cette dernière hésitera sans doute à les radier tant qu'ils n'auront pas reçu de réponse satisfaisante aux questions qu'ils ont fait remonter au national par son intermédiaire. De ce fait il n'y aurait pas de véritable de date de radiation ce qui explique les courriers encore échangés entre Étienne Fajon et Freinet jusqu'en 1954.

Mm

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1- interrogés par Michel Launay.

En remarque :

TpsN Ferrer école mod Milan

 

article complété dans le même journal le 3/01/1914**