Lectures et rencontres multiples

Lectures et rencontres multiples Claude Beaunis lun 27/02/2017 - 15:15

 

Lectures et rencontres multiples

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

 

A cette époque paraît un livre du sociologue suisse Adolphe Ferrière, intitulé Transformons l'école. On se doute que Freinet ne reste pas insensible à un tel titre. Il lit également l'ouvrage précédent de l'auteur, L'école active, qui lui fait connaître de nombreuses expériences d'éducation nouvelle dans le monde entier.

Il lit ou relit les philosophes pédagogues (Rabelais, Montaigne, Rousseau et l'éducateur rousseauiste Pestalozzi), moins pour trouver des réponses à ses problèmes que pour voir comment ils se posent les questions fondamentales ; également pour se placer sous leur haut patronage dans ses actions personnelles. Il fera de même lorsque paraîtront les Instructions Officielles de 1923 qui redéfinissent les programmes et les méthodes de l'enseignement primaire. Beaucoup plus ouvertes que les précédentes, elles seront d'abord peu appliquées dans la plupart des classes et Freinet ne cessera de montrer qu'il ne fait que réaliser pleinement les intentions générales qui s'y expriment.

En avril 22, il tente le professorat de lettres des Ecoles Primaires Supérieures. Sans avoir réussi à la dernière épreuve de l'examen, il se voit proposer une délégation à l'EPS de Brignoles, mais après l'avoir visité il renonce à cette voie. Une chose est certaine : Freinet lit beaucoup. Non pour acquérir un vernis culturel ou accumuler des connaissances selon les schémas scolaires traditionnels qu'il critique tant (le capitalisme de culture, selon son expression qui signifie plus exactement : capitalisation des savoirs). Il se comporte plutôt en orpailleur, passant au tamis des quantités d'alluvions pour ne garder que les pépites qu'il fera fondre dans son creuset personnel. Bien que l'image soit moins poétique et peut-être iconoclaste, il fait penser aussi au bricoleur un peu chiffonnier, fouillant partout, mettant de côté, çà et là, un élément apparemment inutile dont lui seul sait qu'il en aura un jour l'usage, en le transformant selon son projet.

La symbolique de l'homme de la base, puisant l'essentiel de sa pensée dans son génie personnel et son expérience, amène trop souvent à minimiser ces apports extérieurs préliminaires qui sont pourtant évidents et n'altèrent en rien l'originalité profonde de Freinet.

Car il faut distinguer deux types d'autodidactes dans la façon de puiser dans leur environnement culturel. Les premiers, fonctionnant généralement en vase clos, sont subjugués par leurs trouvailles successives et les enchâssent telles quelles dans leur construction personnelle, comme les orfèvres du haut moyen âge. En fait, ils procèdent par simple accumulation, comme hélas! certains universitaires, avec moins de cohérence que ces derniers, mais un charme baroque naît parfois de l'hétéroclite.

Les seconds, parce qu'ils se confrontent en permanence à la réalité et dialoguent avec les autres, ne peuvent se contenter d'accumuler; ils assimilent les apports de telle façon qu'ils les transforment en sécrétion personnelle. Une grande attention est souvent nécessaire pour reconnaître dans leurs initiatives une influence extérieure et l'on serait tenté parfois de les accuser de plagiat, alors qu'ils n'ont jamais caché leurs sources ni les influences ressenties. En ce sens, tout novateur travaillant sur un terrain non défriché se comporte en autodidacte, même quand il a préalablement suivi un cursus classique. Freinet appartient à ce deuxième type, plus proche d'un Picasso que d'un facteur Cheval.

L'été 1922, à l'invitation de son ami allemand Siemss, directeur (chargé de cours) d'une école de 14 classes, il se rend en Allemagne et prend réellement contact avec l'école de Hambourg qu'il avait si souvent citée de réputation.

L'été 1923, c'est à Montreux (Suisse) qu'il assiste au congrès de la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle où il rencontre ceux dont il avait lu le nom dans le livre de Ferrière. Nous retrouvons l'écho de ces deux voyages dans Clarté.