Cinq années de pension loin du village

Cinq années de pension loin du village Claude Beaunis lun 27/02/2017 - 13:39

Cinq années de pension loin du village

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

 

En 1909, Célestin Freinet est reçu au certificat d'études (il a 12 ans 8 mois). A la rentrée d'octobre, il part en pension à Grasse préparer le brevet élémentaire. Nous savons, par sa fille Madeleine, qu'il était hébergé chez sa marraine, mariée à un maçon de la ville. Selon Naissance d'une Pédagogie Populaire (NPP), il entre au cours complémentaire. Pourtant, d'après les archives administratives, on ne trouve trace dans cette ville à l'époque ni d'un cours complémentaire (annexé à une école primaire), ni d'une école primaire supérieure autonome. Seule possibilité restante, la section spéciale (primaire supérieure) d'un collège. Le plus connu, fondé dès le XVIe siècle par les Oratoriens, est devenu collège communal en 1792. Il s'agrandit justement en 1909 de locaux neufs, venant d'être inaugurés par le président Fallières et le chef du gouvernement Clemenceau. L'établissement est devenu l'actuel lycée Amiral de Grasse où l'on n'a pu confirmer ni infirmer la présence du jeune Freinet entre 1909 et 1912. Madeleine Freinet confirme qu'il s'est préparé dans cet établissement au concours d'entrée à l'école normale, après avoir passé deux ans au collège Carnot (mais s'appelait-il ainsi à l'époque ?) pour préparer le brevet élémentaire. Peut-être des palmarès de l'époque pourraient-ils apporter les preuves précises qui manquent encore.

 

Sur ces trois années passées à Grasse, Freinet n'a rien écrit. En cherchant le moindre indice, on découvre une phrase dans Les Dits de Mathieu. Il publie en 1948 le poème plein de douleur d'une adolescente de 14 ans, mise en pension, et indique: "Je l'aurais peut-être écrit, il y a quarante ans. Mais personne alors n'aurait enregistré ma plainte; on aurait ri de mon audace et raillé mon désespoir."  (DdM. p. 66 ou T.2, p. 140).

 

Ce désespoir n'a pourtant pas empêché son succès au brevet, puis sa réussite au concours d'entrée à l'école normale d'instituteurs de Nice où il est inscrit, sous le n° 649, en octobre 1912 (il a tout juste 16 ans). Il passe deux années dans cet établissement, alors situé route de Gênes, au pied du Mont-Boron. De cela il n'a laissé aucune trace, sinon une phrase écrite incidemment sur la nécessité de transformer l'enseignement de la musique: "Que d'heures perdues à l'Ecole Normale à gratter lamentablement du violon." (Educateur Prolétarien, n° 7, janv. 39).

 

Si rares et limités que soient les témoignages oraux et les notations écrites de Freinet concernant sa vie scolaire, tout va dans le même sens : lui qui avait le besoin et la capacité de se passionner, s'est ennuyé dans les écoles qu'il a fréquentées, alors même qu'il y réussissait relativement bien. Toute son action ultérieure se mobilisera contre l'une des tares majeures du système scolaire: l'ennui.