L'observation critique du milieu - Des pratiques de l'école active

L'observation critique du milieu - Des pratiques de l'école active Claude Beaunis dim 07/05/2017 - 12:20

 

L'observation critique du milieu Des pratiques de l'école active

Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps

Michel Barré

 

  Lorsque Freinet demande aux petits de Bar-sur-Loup d'observer et de décrire des métiers du village (tisserand, berger, cordonnier, forgeron), lorsqu'à Saint-Paul, deux ans plus tard, il fait mesurer et décrire systématiquement les remparts et le panorama qu'on aperçoit, qu'il va voir avec ses élèves un four à chaux, une scierie, un moulin à huile, qu'il fait noter les températures, les évolutions du temps et de la nature, on peut dire qu'il n'introduit là rien d'original, il suit simplement les conseils des nouvelles instructions officielles de 1923. Mais sont-ils nombreux, les instituteurs qui, à cette époque, le font aussi régulièrement ?

 

De la description spontanée à la réflexion

La plupart des textes d'enfants reflètent leur milieu. Mais Freinet ne se contente pas de cette perception intuitive. Avec sa classe de petits à Bar, on sent qu'il incite à réfléchir sur le pourquoi des travaux agricoles, des récoltes. A Saint-Paul, comme les élèves sont plus grands, il systématise l'élargissement en quelques lignes, imprimées sous le texte du jour et baptisées enquête . Par exemple, si l'enfant a parlé de sa chèvre, on ajoute combien de chèvres possèdent tous les enfants de la classe. De proche en proche se dessinera un tableau des animaux domestiques possédés dans les familles. Un autre jour, on totalise les métiers pratiqués par les parents (total significatif : 25 cultivateurs, presque tous métayers, un maçon, un coiffeur, une blanchisseuse, une couturière ; les autres habitants du village n'ont pas d'enfants ou les envoient dans des écoles privées hors du village).

Fréquemment un texte parle d'une récolte à laquelle participent les enfants en dehors des horaires scolaires. L'enquête précise le poids récolté par la famille concernée ou par toutes les familles représentées dans la classe, parfois en indiquant le cours actuel (en mai 31, la fleur d'oranger est tombée à 3 F le kilo au lieu de 10 l'année précédente). Au sujet des autos, on totalise les quelques voitures des habitants ; par contre, des voitures de luxe stationnent autour des hôtels. Des correspondants ayant parlé du champagne, le compte est vite fait des familles où l'on en a déjà bu ; par contre les enfants savent que l'on en sert souvent dans les hôtels, ils se renseignent sur le prix de la bouteille et comparent avec les dépenses quotidiennes de leur famille. Il en est de même pour les animaux de compagnie des riches visiteurs, mieux nourris, en cette période de crise, que bien des humains. A travers les petites enquêtes rapidement exécutées puis imprimées et conservées dans le livre de vie, se forme, peu à peu et sans le moindre endoctrinement, une prise de conscience sociale qui, en fait, sera le principal grief des ennemis de Freinet.

 

La correspondance, motivation de l'approfondissement

Comme nous l'avons vu avec les enfants de Bar et de Trégunc, la correspondance incite à raconter, à décrire (donc à mieux regarder) son milieu, puis à le comparer avec celui que décrivent les correspondants. A partir des observations locales se dégagent des notions géographiques plus générales. Granier (IE 29, p. 107) et Rossat-Mignot (n° 31, p. 173) proposent des plans d'étude de la géographie locale. Gauthier (n° 31, p. 175) conseille de compléter les échanges de journaux scolaires, au sein d'équipes de 8 ou 10, par des envois de cartes départementales tirées des calendriers des PTT, de cartes postales, de roches, de renseignement sur la géographie physique, économique, humaine et même du langage de la région de chaque correspondant.

Il en est de même pour les sciences naturelles et même pour l'histoire, si l'on prend en compte toutes les ressources locales, y compris traditions et modes de vie. Gauthier (n° 35, p. 11) conseille de s'appuyer sur les témoignages d'enfants, de parents et de vieillards, de recueillir les traditions. Guillard (n° 37, p. 69) propose de confronter les archives locales, notamment sur la Révolution de 1789.